C'est maintenant une tradition depuis des années : l'interview du directeur de l'écurie de Charles est une nouvelle fois rendue possible grâce à l'amabilité des personnes qui entourent le Monégasque.
Nous remercions à cette occasion, en plus d'All Road Management et Nicolas Todt, Angelina Ertsou sans qui cette interview n'aurait jamais pu être possible.
Après Armando Filini (2013), Martin Young (2014), Frits van Amersfoort (2015) et Sébastien Philippe (2016), c'est donc au tour de René Rosin de se prêter au jeu de l'interview de fin d'année.
CLF : Tout d’abord félicitations pour votre titre pilote. La saison de Charles a été absolument incroyable. Comment avez-vous vécu toutes ses poles et toute cette domination de l’intérieur ?
RR : "Merci à vous. Je pense que la plus grosse part de mérite revient au travail et au potentiel de Charles. Dès qu’il est arrivé dans notre équipe, c’était l’an dernier à Abu Dhabi, on a tout de suite compris son potentiel. Après ses essais avec nous, il ne s’est jamais arrêté de travailler.
Il a réalisé le plus grand nombre de poles en une saison et c’est quelque chose qui ne s’était pas vu depuis Hulkenberg et Hamilton au début de l’ère GP2. Même chose pour son titre qu’il a obtenu en étant rookie. On n'avait pas vu ça depuis cette même époque ! Il était vraiment formidable et son niveau était vraiment au-dessus de tous les autres."
CLF : La course de Bahreïn restera encore longtemps dans nos mémoires. Racontez-nous comment s’est mise en place cette stratégie de « plan B » ?
RR : "Pour être honnête, l’idée nous est venue lorsqu’on faisait les essais collectifs de Bahrein, deux semaines avant la course. On a vu qu’il y avait énormément de dégradation, que ce soit avec les pneus médiums ou les pneus tendres. Bon, je n’étais pas présent à la première course parce que je devais être à Silverstone pour celle de Formule 3 mais l’idée du plan B était déjà là. Pour cela il fallait que nous soyons dans une position où l’on pouvait attaquer pour faire le gap dans les premiers tours. On a plus regardé la course de Norman que celle de Markelov et on a choisi de faire l’undercut à Norman. Charles a vraiment été extraordinaire ce jour-là car il a conduit au maximum que ce soit avec les tendres ou les médiums.
Je pense que cette course restera encore longtemps dans les mémoires, comme sa dernière course à Abu Dhabi quand il dépasse Albon dans le dernier tour. C’était deux courses formidables !"
CLF : Charles et Fuoco ont eu la même voiture, la vôtre. Ils ont aussi le même soutient de la part de Ferrari et exactement le même entrainement que ce soit physique, mental ou au simulateur.
Qu’est-ce qui explique l’énorme écart de performance qu’on a pu voir entre-eux cette année ?
RR : "C’est très difficile pour moi de répondre à cette question. Je les connais bien et j’ai une bonne relation avec les deux. Charles est très performant et pour moi, c’est l’un des meilleurs pilotes du sport automobile actuel. Il a travaillé très dur pour être à la perfection dans tous les domaines. En essais libres, en qualifs, en course, partout. Il est très doué pour être rapide tout de suite, dès les premiers tours. Il s’est tout de suite adapté à la voiture, aux pneus et au travail qu’il devait faire pour être performant. Je pense que c’est ça qui a fait la différence."
CLF : Dans notre dernière interview, Charles nous disait que son style de pilotage était différent de celui de Fuoco. Vous confirmez ?
RR : "Oui oui. Antonio n’est pas capable de faire un bon temps dès son premier tour en utilisant toute la performance des pneus alors que Charles y arrive assez facilement. Ensuite, quand on part cinquième, sixième ou septième, les courses sont tout de suite différentes. Il a eu de la malchance, Charles aussi mais je dois dire que l’équipe a fait trop d’erreurs, je me rappelle de Monaco quand on a fait perdre la course à Charles et c’est inadmissible pour une équipe telle que la nôtre."
CLF : Comment est Charles lors d’un week-end de course ?
RR : "Il est très concentré sur son travail. Il y a des moments où il peut s’amuser un peu mais il y a surtout les moments où il travaille. Il est vraiment focalisé sur ce qu’il doit faire. Monaco a été très difficile pour lui surtout qu’il était devant ses amis, sa famille et ses fans. En plus avec ses histoires familiales, il avait beaucoup de pression mais finalement il l’a vraiment formidablement bien gérée ! Au final, c’est lui le vainqueur moral de Monaco. On lui a demandé de faire la pole, il a fait la pole. On lui a demandé de faire un gap de 28 secondes, il l’a fait. Il ne connaissait même pas la piste ! Ok, il habite là-bas, mais il n’a jamais roulé à 200 à l’heure dans les rues en monoplace donc il ne connait pas la piste. Et puis il y a eu le Safety Car […] on a complètement loupé la stratégie mais c’est lui le vainqueur moral de Monaco."
CLF : On imagine facilement que vous avez fait la connaissance de Charles lorsqu’il roulait en F3 avec VAR. Est-ce qu’à un moment il a été question pour vous de l’engager pour la saison 2015 ?
RR : "Je ne peux pas répondre à cette question (rires) ! Vous pouvez demander à Charles, moi j’avais des contrats déjà signés mais on était vraiment très proche d'une signature avec lui."
CLF : Où situez-vous Charles en tant que metteur au point ?
RR : "Il est vraiment top ! Il est vraiment impressionnant. C’est un des meilleurs pilotes de l’histoire selon-moi."
CLF : L’an prochain la Formule 2 aura droit à une toute nouvelle voiture. Qu’attendez-vous de celle-ci ?
RR : "C’est une nouvelle voiture et on a donc hâte de la développer !"
CLF : D’ailleurs, Charles vient tout juste de rentrer de Bahreïn où il a essayé cette fameuse voiture. Est-ce que son débriefing pourrait vous faire gagner un gros avantage avant le début de la saison ?
RR : Je pense qu’il n’a pas le droit de nous donner des informations afin de respecter l’équité avec les autres équipes. Par contre je lui ai demandé comment était la voiture et il m’a dit qu’elle est vraiment agréable à conduire. On verra ça au shakedown en Février à Magny-Cours."
CLF : Est-ce qu’il est difficile de reproduire la forme du HALO au simulateur ? Rappelons que c’est la première fois que vos pilotes piloteront avec quelque chose entre les deux yeux.
RR : "On y travaille car nous n’avions pas toutes les données exactes de la voiture. On y travaillera après les fêtes."
CLF : Pourquoi avoir opté pour un duo de Vries – Gelael plutôt qu’un duo de choc tel que de Vries – Norris par exemple ?
RR : (Rires !) "Je pense qu’on peut faire un bon travail avec Sean. Bon, c’est clair qu’on ne gagnera pas le championnat avec lui mais on va faire le maximum. On va essayer de gagner, ça c’est sur, mais on verra.
Nous sommes en F2 pour gagner, certes, mais on est aussi là pour faire progresser nos pilotes."
CLF : Giovinazzi et Charles sont tous les deux passés par la case Prema Racing et pourtant, Sauber a préféré Charles pour 2018. Qu’est-ce qui peut expliquer ça selon vous ?
RR : "Ce sont tous les deux de très bons pilotes. Je pense que Charles est meilleur en qualifications même si Antonio a plus d’expérience. Je pense surtout que Charles à quelque chose de plus."
Des pilotes comme Ocon, Stroll, Gasly et donc Charles sont tous en F1 après être passés dans votre équipe. Qu’est-ce que ça vous fait ?
RR : "Pour moi ce sont tous des pilotes exceptionnels et je suis très heureux et très fiers de les voir en F1 aujourd’hui. Ils cherchent tous la perfection, ils travaillent très dur et c’est ça la nouvelle génération."
CLF : Cette année vous avez évoqué l'idée d'accéder un jour à la F1. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
RR : "En tant qu’équipe, on veut tous faire de la F1. Que ce soit les mécanos, les ingénieurs ou les techniciens. Parce qu’on veut tous le maximum et le maximum de la performance c’est la F1. D’un autre côté il nous faut une énorme structure et pour le moment on ne l’a pas. Il faut aussi qu’on soit en partenariat avec une équipe, qu’on ait le même châssis, parce qu’être constructeur ce n’est pas possible pour l’instant."
CLF : Cette année, on a pu voir que Arthur, le frère de Charles a effectué des tests avec vous. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus et s’il y a une véritable chance de le voir dans l’une de vos équipes de F4 dès l’an prochain ?
RR : "On est en train de discuter avec Charles et sa famille parce que le championnat Italien et Allemand coûte beaucoup plus cher que le championnat Français par exemple. Arthur a fait un très bon travail et il a eu un peu de malchance parce qu’il n’a jamais vraiment roulé sur piste sèche. Il pleuvait souvent mais il a très bien roulé et il a un fort potentiel !"
CLF : Son père disait souvent "Vous pensez que Charles est rapide, attendez de voir Arthur !"
RR : "Il avait raison (rires) On a fait 4 jours de tests et il nous a vraiment impressionnés. Il est jeune, il découvrait la monoplace et il n’a pas une grosse expérience en karting comme celle qu’avait Charles à son âge par exemple. Il a vraiment fait du très bon travail."
CLF : Merci beaucoup et on se voit l’année prochaine, soit au Castellet, soit à Monaco !
RR : "Avec grand plaisir ! Merci à vous, passez de joyeuses fêtes et un joyeux Noel."
Photo : Zak Mauger/FIA Formula 2.