Jean-Louis Moncet nous parle de la saison passée, de Charles, et de Ferrari (partie 1)

Alors que le monde de la Formule 1 s'éveille peu à peu en ce début d'année, CLF commence cette onzième saison avec un entretien exceptionnel accordé par Jean-Louis Moncet, journaliste émérite ayant initié de nombreux fans à notre sport. Il revient avec nous sur l'actualité, mais également sur les enjeux d'une nouvelle ère, sur Charles et Ferrari qui s'apprêtent à vivre une saison charnière dans leur histoire.

Avant toute chose, merci de prendre encore quelques minutes pour nous. Ma première question est banale mais comment allez-vous et que faites-vous de votre retraite ?
"Je vais très bien et j’ai une retraite active ! Je continue à travailler pour Canal + pour les fois où ils ont besoin de choses historiques. Vous avez pu le voir sur le sujet consacré à Mr Paul Ricard et pour l’hommage à Frank Williams lorsqu’il nous a quitté. Ensuite je m’occupe toujours de ma rubrique dans Auto Sport Classique. D’ailleurs le prochain sujet c’est sur l’année de F1 1982. J’ai aussi des choses de prévues du côté de Netflix sur certains pilotes donc je n’ai plus trop de temps pour moi finalement. Je suis toujours la F1 de façon quasi obligatoire car je participe aussi à une émission sur Twitch et YouTube qui s’appelle Racing Stream. C’est une émission pour les jeunes donc c’est l’opposé de moi !" (rires)

La saison 2021 a été exceptionnelle mais s'est terminée dans une tension extrême. Qu'avez-vous pensé du dénouement du championnat à Abu Dhabi ?
"Je trouve que tout ça a été une erreur fondamentale. D’ailleurs je n’ai jamais compris comment Michael Masi agissait. Parfois, il y avait un morceau de carbone de 10cm sur la piste, il mettait un drapeau rouge, des fois il mettait la voiture de sécurité pour un tout petit incident et il y a des fois comme à Abu Dhabi où il y a une voiture en travers de la piste et il n’a pas mis de drapeau rouge. J’ajouterai à ça le Grand Prix de Belgique qui pour moi, est un véritable scandale. Attribuer une victoire sur une course qui a duré deux tours derrière la voiture de sécurité c’est un scandale. Faire démarrer le Grand Prix en disant aux spectateurs qu’ils vont avoir une course mais qui en réalité n’a duré que deux tours, c’est aussi un scandale. Toutes ces décisions ont fait que je prends l’attitude de Michael Masi avec des pincettes. Ce que je trouve idiot par-dessus tout c’est qu’à Abu Dhabi, Hamilton a été déçu et je le comprends mais tout ça a rejailli sur le titre de Max Verstappen . Vous entendez beaucoup parler du titre de Max Verstappen, vous ?  Non, tout le monde parle du fait que Hamilton ne l’a pas eu alors que Max a fait une très belle saison et que les départager comme ça, c’était idiot. Je pense que Michael Masi cède trop à la pression des gens, peut-être trop à la pression de la FIA et trop à la pression des Américains qui veulent du show quoi qu’il advienne car ils en avaient peut-être assez de la domination d’Hamilton. On ne peut pas régler et réguler la F1 comme ça et je trouve que ça a été néfaste pour tout. Même si ça s’est terminé par la victoire et le titre mondial de Verstappen, la moitié des gens sur cette planète trouvent que ça s’est terminé en queue de poisson. Honnêtement je trouve ça con."

Que pouvez-vous nous dire du nouveau Président de la FIA ?
"Alors le nouveau Président je le connais parce que j’ai diné plusieurs fois avec lui à Monaco. Il a toujours été extrêmement sympa et il est très directif. Il est comme Jean Todt : c’est un patron. Il veut absolument que l'enquête sur ce dernier Grand Prix aboutisse réellement pour la simple et bonne raison qu’il veut démarrer son mandat sur de bonnes bases. Il ne peut pas laisser les choses en l’état. Il aime le sport automobile, il aime les belles voitures donc c’est quelqu’un qui est dans ce milieu depuis longtemps. Il a aussi, de par sa nationalité, des soutiens de poids tels que les Emirats et les pays du golfe en général et je pense que ce sera un Président qui aura de la poigne. Il ne peut pas se jeter du premier coup dans le bain mais je pense qu’il sera du genre à taper du poing sur la table et ça peut être intéressant."

Pensez-vous que la nouvelle réglementation sera bénéfique ou au contraire, qu'elle créera des écarts importants entre les équipes, après une saison très serrée comme la dernière ?
"Alors j’avance sur la pointe des pieds sur ce sujet-là parce qu’à chaque fois qu’on nous annonce une nouvelle réglementation qui va changer les choses avec des voitures qui peuvent se suivre de près, ça n’a pas souvent marché. Il faut dire les choses comme elles sont. On nous a encore promis une nouvelle aérodynamique formidable qui permet des dépassements mais j’attends de voir. Ensuite la deuxième chose la plus importante pour moi c’est les pneus. Les jantes de 18 pouces changent considérablement la donne sur la taille des pneus, sur leur usure, sur le confort des pilotes dans le sens où elles ne seront pas douces à conduire et je regarderai de près ce que ça donnera. Nous aurons déjà une petite idée après les essais hivernaux et les premières impressions des pilotes."

Parlons un peu de Ferrari. Depuis la fin de l'année 2020, nous constatons que l’équipe change enfin ses habitudes. Elle s’est enfin tournée vers la jeunesse, l’ambiance au sein de l’équipe et les stratégies sont meilleures et nous les avons vus remonter la pente en 2021. Vous êtes d’accord avec ça ?
"Oui complétement ! L’important pour moi, c’est que d’abord, Ferrari a battu McLaren. On a beau tourner le problème dans tous les sens mais malgré la bataille de Mercedes et de Red Bull, l’histoire entre Ferrari et McLaren est préhistorique je dirais. Ils se battent ensemble depuis des années, ils se mesurent et là, ils ont réussi à remonter la pente, ça c’est la première chose. L’histoire de la jeunesse ça c’est bien mais je pense surtout, la façon de concevoir les réflexions autour la nouvelle voiture me paraissent importantes. L’équipe a changé et je pense que c’était nécessaire. Il faut rappeler que le dernier titre pilote remonte à 2007 et le dernier titre constructeurs à 2008. Leur manière de concevoir une voiture a changé, même chose pour le moteur. Le changement léger de carburant a fait qu’ils ont reconsidéré leur moteur et je pense qu’on aura enfin de bonnes surprises de ce côté-là. On ne peut pas négliger Ferrari. Ils sont là depuis le deuxième Grand Prix de 1950 ! D’ailleurs, je lis que Honda reviendrait peut-être sur sa décision de quitter Red Bull et je me dis que c’est peut-être un appel au secours de la part de Red Bull qui pense qu’il va se passer des choses l’an prochain. On va aussi toucher aux plafonds budgétaires et ça peut être intéressant."

Cela fait maintenant trop longtemps (environ quinze ans) que l'on se dit que ça sera l'année de Ferrari. Mais force est de constater que nous sommes déçus à chaque fois. Alors, le vrai retour des Rouges, c’est pour quand ?
"Est-ce que ce sera pour l’an prochain ? Ça se pourrait ! Ça se pourrait mais je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Moi je ne juge que sur pièce et vous me connaissez, je dis toujours qu’on en saura plus après les qualifications du premier Grand Prix car ça nous donnera une idée de la hiérarchie pour le reste de la saison."

En 2020, Ferrari a clairement touché le fond… un peu comme au début des années 80. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça et est-ce que Charles peut faire gagner Ferrari sur la durée comme Schumacher avant lui ?
"Alors, il y a deux questions dans la question. Déjà en 2019, il y a eu cette histoire de moteur que la FIA a vu de près et sur lequel il y a eu un accord de confidentialité parce qu’il y avait vraiment des nouveautés. La FIA a demandé de le démonter et malheureusement, Ferrari s’était déjà basé sur ses données et sur ses dessins pour concevoir la voiture de 2020. Ils se sont retrouvés avec une voiture avec beaucoup de chevaux en moins et c’est pour ça qu’ils étaient perdus en 2020. Ensuite pour ce qui est de Charles, je pense que c’est une personne à deux facettes. C’est un peu le gendre idéal. Quelqu’un de très gentil, avec qui on peut discuter et qui est très ouvert, très intelligent et très sensible. Je pense qu’au volant il peut faire de très belles choses mais c’est surtout quelqu’un qui ne se trouve aucune excuse quand il fait des bêtises. Pour moi c’est très important car beaucoup de pilotes disent que c’est la faute de telle ou telle chose. Lui il dit « non, j’ai fait le con » et c’est la marque des grands champions. Par contre, le mettre toujours au niveau de Schumacher, personne ne peut le dire. Je sais que par exemple, Bernie Ecclestone dit que Sainz a fait une meilleure saison que Charles mais personne ne peut prévoir ce qu’il va se passe pour lui dans les cinq années à venir."  

La seconde partie de l'interview est à retrouver dès jeudi matin sur notre site !


Photo : autohebdo.fr